ERNEST RUPIN
L'ABBAYE ET LES CLOITRES
DE
MOISSAC
Ouvrage orné de 240 Gravures, dont 5 Planches hors texte
D'APRÈS LES DESSINS HT LES PHOTUCR.VI'IIIES DE LAIITELK
Publié sous les auspices de la Société Archéologique de la Corrèze Honoré d'une subvention du Ministère de l'Instruction publique
PARIS
Alphonse PICARD et Fils, éditeurs Libraire des Archives nationales et de la Société de l'Ecole des Ch 82, RUE BONAPARTE, 82
1897
Tous droits réservés.
L'ABBAYE ET LES CLOITRES
DE
MOISSAC
»
TIRAGE A 300 EXEMPLAIRES
BR1VE, IMPRIMERIE ROCHE 189/
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in 2013
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ERNEST RUPIN
L'ABBAYE ET LES CLOITRES
DE
MOISSAC
Ouvrage orné de 240 Gravures, dont 5 Planches hors texte
d'après les dessins et les photographies de l'auteur
Publié sous les auspices de la Société Archéologique de la Corrèze Honoré d'une subvention du (Ministère de l Instruction publique
PARIS .
ALPHONSE PICARD, ÉDITEUR
Libraire des Archives nationales et de la Société de l'Ecole des Chartes 82, RUE BONAPARTE, 82
1897
Tous droits réservés.
A Monsieur Anatole de BARTHÉLÉMY
MEMBRE DE L'iNSTITUT
Chevalier de la Légion d'Honneur
En mettant votre nom en tète, de cet ouvrage, pour lequel vous m'avez fortement encouragé , je satisfais au désir le plus pressant de mon cœur.
Veuillez accepter cette dédicace comme le faible mais sincère hommage de ma plus vive reconnaissance.
E. R.
Brive, le 75 Novembre i8çy.
AVANT-PROPOS
ui n'a entendu parler de l'abbaye de Moissac, dont la renommée s'étendait au loin, de son église, des merveilleuses sculptures de son portail et de son cloître, appelés justement un musée d'ico- nographie romane ?
Son nom seul rappelle, pendant une longue période de onze siècles, mille souvenirs historiques tour à tour agréables ou terri- bles, tristes ou glorieux.
Cette opulente abbaye bénédictine, où la régularité et la piété s'unissaient à la science, florissait, à un moment donné, d'une manière admirable. Pillée et presque détruite à différen- tes reprises, après le calme elle se relevait plus puis- sante que jamais.
L'abbaye de Moissac exerçait la suzeraineté sur la région et aurait renfermé, dans les premiers temps de sa fondation, jusqu'à mille religieux, s'il fallait s'en rapporter à la Chronique d' Aymeric de Peyrac. Elle comptait parmi ses vassaux les puissants comtes de Toulouse, ceux de Bruniquel, de Durfort, de Malauze, de Montesquieu et de Puycornet.
Son autorité religieuse n'était pas moins grande : l'abbaye de Vabre au diocèse de ce nom, d'Eysses au diocèse d'Agen, de Lezat au diocèse de Rieux, de Saint- Pierre de la Cour au diocèse de Toulouse, de Saint-Paul de Valoles au diocèse de Narbonne, d'Arles au diocèse d'Elne, de Saint-Pierre de Campredon au diocèse de Gironne en Espagne, relevaient de sa juridiction. Ses prieurés étaient au nombre de trente-sept; plus de cent églises étaient placées sous sa juridiction.
L'abbé de Moissac jouissait de privilèges importants : il avait le droit de porter les insignes épiscopaux et de conférer la tonsure. Lors de sa première visite à Cluny,
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L'ABBAYE ET LES CLOITRES DE MOISSAC
La Chronique d'Aymeric de Peyrac est un in-folio de 178 feuillets en parchemin; l'écri- ture tracée sur deux colonnes est nette, pointue, et ne renferme, contrairement à l'écri- ture de cette époque, que très peu de signes abréviatifs ; la lettre e remplace toujours les lettres œ et œ. Ce manuscrit présente de nombreuses erreurs de date et des fautes de copie qui défigurent complètement certains mots ; il se divise en quatre parties.
La première partie (feuillets 1 à 101) est consacrée à l'histoire des papes que l'auteur fait commencer à Jésus-Christ, pour la continuer jusqu'au pontificat de Benoît XIII (Pierre de Luna).
La deuxième partie (feuillets 102 à 151) renferme l'histoire des rois de France à partir de Clovis, auquel le chroniqueur attribue la fondation du monastère de Moissac.
Les deux dernières parties de l'ouvrage sont incontestablement les plus importantes : l'une (feuillets 152 à 167) intitulée : Chronique des abbés de Moissac, est une histoire complète de l'abbaye depuis sa fondation jusqu'à l'année 1402 ; l'autre (feuillets 167 à 178), une courte chronique des comtes de Toulouse, qui étaient à la fois les suzerains et les protecteurs de l'abbaye.
La crédulité d'Aymeric de Peyrac a sans doute été des plus grandes et on ne doit pas accepter sans contrôle tous ses récits. Mais les textes des chartes qu'il donne, les documents qu'il cite à chaque instant et qu'il avait sous les yeux, prouvent qu'il a travaillé avec conscience et que si son jugement parfois était faux, il rapporte fidèle- ment tout ce qu'il a trouvé et tel qu'il l'a trouvé.
30 Archives départementales de Tarn-et-Garonne. — Les documents qui se trouvent actuellement aux Archives départementales de Tarn-et-Garonne se composent de 4728 pièces ; ces pièces constituaient le fonds des archives de l'abbaye et celui de l'Hôtel-de- Ville de Moissac.
Les archives de l'abbaye étaient renfermées dans deux salles ménagées entre deux contreforts du mur septentrional de l'église et dans laquelle on pénétrait par l'escalier à vis conduisant à l'orgue. Elles étaient confiées à la garde d'un religieux, désigné sous le nom de custos, dont l'office fut institué en 1330 et supprimé en 1 61 8 par la bulle de sécularisation de l'abbaye. Malgré cette bulle cet office fut cependant maintenu, mais, quelques années après, celui qui remplissait cette fonction ayant cessé de résider à Moissac, les archives ne furent plus serveillées ; elles furent bouleversées et un grand nombre de titres du plus grand intérêt disparurent.
En 1707, le chapitre fit de vains efforts pour obliger le titulaire de l'office de custos, chanoine de Saint-Etienne à Toulouse, de venir habiter Moissac pour s'y acquitter des obligations de sa charge. Il s'adressa alors à un avocat de Toulouse et lui offrit 1,200 livres s'il voulait se charger du classement et de l'inventaire des archives, mais l'offre ne fut point acceptée.
Des démarches faites ensuite auprès d'un prêtre de la ville, appelé Andurandy, furent, cette fois, couronnées de succès.
« Evariste Andurandy était fils d'un perruquier de Moissac. Après avoir quitté la maî- trise du chapitre, où il avait été admis comme enfant de chœur, et avoir reçu, à titre de récompense, le jour où il dut céder sa place à un autre, un habit complet, plus 60 livres pour payer son apprentissage dans l'état qu'il voulait embrasser, il s'adonna à l'étude des lettres. Ses progrès furent rapides et remarqués. Devenu, sept ans plus tard, en 1 714, maître ès-arts de l'université de Cahors, il se chargea du département général des revenus appartenant aux bénéficiers du chapitre de Moissac, par jour et par heure, d'après les feuilles de pointage. Ce travail qui fut payé, suivant l'usage, dix sacs de
INDICATION DES SOURCES
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blé (Dèlib. du chapitre, f°s 30 et 201) fit apprécier son activité et son intelligence : aussiT lorsqu'il fut devenu vicaire de Saint-Michel, le chapitre eut-il recours à lui pour mettre de l'ordre dans les archives et en faire l'inventaire » (1).
Andurandy s'occupa d'abord du classement des pièces volantes, en dépôt dans la salle des Archives, et en fit le répertoire. Ce répertoire comprenant 7508 numéros est un grand in-folio en peau sur planches de bois, composé de 767 feuillets ; il est divisé en deux parties : la première comprend les actes d'un intérêt général. On trouve aux folios 5 et suivants une liste des abbés^de Moissac, mais aucune date n'accompagne les notices concernant les trente-trois premiers abbés cités ; la seconde partie renferme les documents relatifs aux possessions de l'abbaye (2).
Andurandy travailla à cette œuvre colossale, qui renferme la copie littérale d'un grand nombre de documents, de l'année 1728 à l'année 1730. Elle fut complétée, peu de temps avant la Révolution, par M. Lespinasse, chanoine, qui y ajouta 39 numéros.
Un arrêté du directoire du département, en date du 5 avril 1792, ordonna de nom- mer des commissaires pour prendre possession des archives de l'abbaye de Moissac, les inventorier et les envoyer à Lauzerte. Suivant arrêté du district de cette localité du 11 du même mois, le sieur Delcassé fut chargé de se transporter à Moissac, de lever les scellés apposés et de procéder au récolement des pièces. Le procès-verbal rédigé sur les lieux établit qu'à une époque qu'on ne peut préciser, un grand nombre de livres et de registres ont été transférés dans une dépendance de l'abbaye située au nord de l'an- cien réfectoire et que les titres laissés dans la salle des Archives remplissent deux grands / placards et soixante-dix-sept tiroirs rangés sur onze rayons ; il constate ensuite qu'il y avait une armoire contenant des papiers de rebut, un vieux coffre recouvert de lames de fer et à trois serrures renfermant des documents en partie détruits par les rats, plusieurs volumes, entr'autres celui d'Andurandy, et diverses liasses alors intactes dont on donne l'analyse (3).
Les volumes et les liasses furent envoyés, bientôt après, au chef-lieu du district, où ils furent plus tard dispersés, à l'exception du répertoire d'Andurandy qui heureuse- ment a été conservé et racheté dans la suite par la commune de Moissac. Heureusement aussi « les papiers de rebut » dont on ne soupçonnait pas la valeur restèrent oubliés, jusqu'en 1840, dans l'armoire qui les renfermait. Un grand nombre d'entre eux ont été détruits par les moisissures, lacérés par des mains inconnues, ou utilisés, d'après cer- tains dires, par les relieurs de Moissac ; mais ceux qui ont échappé a ces causes de destruction fournissent des renseignements importants sur l'abbaye, nous faisant ainsi d'autant plus regretter les nombreux actes de vandalisme qui ont été commis.
En 1859, M. le Préfet de Tarn-et-Garonne ordonna la translation à la préfecture de Montauban des archives de l'abbaye de Moissac. Celles de l'IIôtel-de-Ville , composées de cinquante volumes et de dix-neuf liasses, renfermant des titres communaux et des actes concernant l'abbaye et la ville de Moissac furent transportées quelques années après dans le même arrondissement.
La conservation de ces précieux documents est aujourd'hui assurée : l'inventaire vient d'en être dressé avec beaucoup de soin et de méthode par M. l'archiviste Dumas de Rauly.
(1) Lagrcze-Fossat, Etudes historiques sur Moissac, t. I, Inlrod., p. xvn.
(2) Le répertoire d'Andurandy est conservé aux Archives départementales de Tarn-et-Garonne, série G. liasse 774.
(3) Archives départementales de Tarn-et-Garonne, série G, 774.
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L'ABBAYE ET LES CLOITRES DE MOISSAC
4° Mémoires de l'abbé Fouilhac. — Raymond Antoine de Fouilhac, né en 1622 au château de Mondesson près de Gramat (Lot), embrassa la carrière ecclésiastique et fut, avec Fénelon, chargé d'éclairer les protestants de la Saintonge et de l'Angoumois. Devenu vicaire-général de l'évêque de Cahors, il se fit remarquer par ses connaissances en théologie et son savoir étendu sur l'histoire, les antiquités et les mathématiques. L'intendant Foucaut qui l'avait apprécié et qui avait contracté avec lui une intime liaison s'aida de ses conseils pour former une précieuse collection de livres et d'objets d'an- tiquités.
L'abbé Fouilhac voulant écrire l'histoire de sa province, obtint de l'intendant l'ordre de lui faire ouvrir toutes les archives du Quercy, pour lui permettre de réunir les matériaux nécessaires pour la composition de son ouvrage. Il ne l'a point terminé, mais il a laissé de nombreux fragments qui sont autant de mémoires complets sur les sujets qu'il a traités. L'un d'eux contient quelques détails intéressants sur les abbés de Moissac. L'abbé Fouilhac allait être nommé conservateur des médailles et du cabinet du roi, quand sur l'avis de Fénelon il se décida à rester dans la province, comme étant un séjour convenant mieux à son état, à ses goûts et à ses habitudes. Il consacra à l'étude tout le temps que ne réclamaient pas ses devoirs ecclésiastiques et mourut en 1692.
DOCUMENTS IMPRIMÉS
On trouve un grand nombre de documents sur l'abbaye de Moissac dans des ouvrages imprimés, tels que Y Histoire générale de Languedoc, les Annales Ordinis S. Benedicti, la Gallia christiana et bien d'autres dont il est inutile de faire l'énumération parce qu'ils sont suffisamment connus et que nous les citons en notes toutes les fois que nous les avons consultés. Nous ne parlerons ici que des deux historiens qui ont écrit d'une manière toute spéciale sur Moissac : de Jules Marion et de Lagréze-Fossat.
Jules Marion, en 1849, dans le premier volume, troisième série, de la Bibliothèque de l'Ecole des Char/es, a publié, sur l'abbaye de Moissac, une notice comprenant 147 pages in-8°. Il a puisé ses documents à des sources de la plus grande valeur et nous a fait connaître la Chronique d'Aymeric de Peyrac. Les 136 premières pages sont con- sacrées à un résumé succinct, accompagné de notes d'une profonde érudition, de la Chronique du moine moissaguais, mais parfois le texte a été mal interprêté et la pensée de l'auteur a été exagérée sinon défigurée. Les onze dernières pages comprennent une description archéologique des plus superficielles du cloître et du portail de l'église, mais ici les erreurs commises sont des plus nombreuses. Ainsi, à la page 139, Jules Marion croit reconnaître les quatre Vertus cardinales, dans les sculptures qui ornent les bas-côtés du porche ; à la page 143 il désigne comme étant la statue de saint Paul, celle du prophète Isaïe qui se trouve à l'entrée de l'église. En parlant des chapiteaux du cloître, il dit, page 145, « que chaque scène est expliquée par une inscription », que « les sculpteurs, pour s'épargner sans doute la peine d'une invention trop laborieuse, ont imaginé de reproduire deux fois le même sujet .... que pour la décoration, le cloître se divise en deux parties égales dont l'une est la reproduction exacte de l'autre ». Autant de méprises des plus manifestes, car pas un des 79 chapiteaux que renferme le monument ne se ressemble, et 45 d'entre eux reproduisent même sur leurs quatre faces des motifs absolument différents. On voit que Jules Marion n'a fait à Moissac qu'une courte apparition, que les notes prises ont été très incomplètes, et que sa mémoire le plus souvent lui a fait défaut.
INDICATION DES SOURCES
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Lagrèze-Fossat est sans contredit le véritable historien de la "ville et de l'abbaye de Moissac. Il a eu connaissance de la Chronique d'Aymeric de Peyrac, du Cartulaire et des nombreuses pièces provenant des archives de l'abbaye. A force de travail et de patientes recherches, il est parvenu à réunir les matériaux nécessaires pour la rédac- tion de trois volumes in-8°, qu'il a fait imprimer à Paris en 1870, 1872 et 1874 sous le titre : Etudes historiques sur Moissac.
Le premier volume énumère les sources manuscrites utilisées ; il donne un essai topographique sur Moissac, les coutumes de la ville, l'histoire des abbés-chevaliers et une étude sur l'hommage et sur les serments alors en usage. Le deuxième volume est relatif aux différents droits exigibles au sujet des eaux du Tarn et de la Garonne ; il parle de la communauté et des institutions municipales. Dans le troisième volume se trouvent une notice sur les abbés-réguliers, un aperçu sur l'ensemble du monastère et la description archéologique de l'église et du cloître.
On peut reprocher à l'auteur un manque de méthode qui rend la lecture de son travail un peu fatigante : son ouvrage renferme aussi de nombreuses erreurs. Mais tous ces défauts étaient inévitables pour celui qui arrivait en quelque sorte l'un des premiers et qui devait se débrouiller au milieu d'un fouillis de documents qu'il avait entassés.
Les Eludes historiques sur Moissac n'en sont pas moins un ouvrage sérieux, résultat d'un travail assidu et consciencieux ; les sources sont toujours exactement indiquées et accompagnées de nombreuses notes fort intéressantes. C'est une œuvre véritable qui sera toujours consultée avec fruit par tous ceux qui s'intéressent à l'abbaye de Moissac. Nous avouerons qu'elle nous a été d'une très grande utilité et que nous y avons fait de nombreux emprunts.
En parlant de Lagrèze-Fossat, nous ne devons pas passer sous silence le nom d'un de ses amis Edouard Laroque qui l'a beaucoup aidé de ses conseils et de son expé- rience. Edouard Laroque, né à Moissac en 1797, mort en 1880, était un érudit des plus modestes qui le premier s'est livré avec autant de passion que de succès à l'étude du cloître ; le premier il a décrit les sujets d'un grand nombre de chapiteaux dont on n'avait pu donnner l'explication. Malheureusement il n'a jamais voulu consentir à laisser imprimer le résultat de ses patientes recherches.
TOPOGRAPHIE GÉNÉRALE DE MOISSAC
oissac, aujourd'hui chef-lieu d'arrondissement du département de Tarn-et-Garonne, dépendait autrefois de la province de Quercy et formait une enclave dans celle de Languedoc.
Cette ville, située près du confluent d'une grande rivière et d'un grand fleuve : le Tarn et la Garonne, s'étend dans une plaine vaste et fertile, aux pieds et à la naissance de riants coteaux plantés de vignes et d'arbres fruitiers qui l'abritent des vents du nord (i). La ville^de Moissac remonte à une époque fort ancienne (2), mais son aspect s'est 'profondément 'modifié à la suite des péripéties par lesquelles elle est passée. Dévastée par les Visigoths au ve siècle ; prise successivement par les soldats •de Clovis, par Vaïffre duc d'Aquitaine et par Pépin; brûlée dans le courant du xi° siècle par Vivien comte de Lomagne ; consumée presqu'en entier au siècle suivant par un effroyable incendie ; saccagée par Simon de Montfort ; elle fut démantelée et privée de ses fossés, après 1229, en vertu du traité de Meaux. Fortifiée de nouveau en 1271, à la suite de la réunion du comté de Toulouse à la Couronne, elle tomba au pouvoir des Anglais en 1370 et eut encore beaucoup à souffrir pendant les guerres de religion.
S'il faut s'en rapporter à une gravure donnée par Belleforest dans sa Cosmogra- phie universelle, gravure que nous reproduisons sous la figure 2, Moissac, lorsque les
(1) Ces coteaux forment au-dessus de Moissac les collines de Saint-Michel et du Calvaire, séparées l'une de l'autre par le vallon du Brésidou. La colline du Calvaire est désignée dans les titres anciens sous les noms de Pech Auriol, Montauriol (Mons Aureits, Aureolus) et aussi sous ceux de Béquis, Lapeirière, Simon de Noyer, en souvenir des seigneurs qui la possédaient à titre de fief. Simon de Noyer était consul de Moissac en 152g.
(2) « Dcnique in multis locis harum parcium (sic), in agris et viis publicis apparent antiqua pavimenta ■que faciunt intersigna villarum antiquarum et penitus dcstructarum, de quibus in secunda parte opus- culi etiam prelibavi ». Aym. de Peyrac, Chronique, fol. 154, r°, col. 1.
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L'ABBAYE ET LES CLOITRES DE MOISSAC
Visigoths s'en emparèrent, était entouré d'un large fossé et de hautes et fortes mu- railles crénelées, flanquées de nombreuses tours. Une seconde ligne de défense se dé-
Pourtraid de la ville de MoiiTac.
N La «Mit du poir- îîcrs brufliî par les gucrrct. S. LariuieTedeTflry. V. Le l'on de!a poinre/urTary Y Li monugne de Symoo de
O. Moulin de Rieaid. Q. Le pou de Tary. T- La riuierc de Giiotmc ioi- & G-itoime loignâi Moiffic. noyer.
P- La tout du p ont, auec fetf i- R . Vieille» muraille] 5c conta gnaru au Tary. X. Moutaijnej au > ignoble. Z. Plaine,
Fig. 2. — D'après une gravure de la Cosmographie de Munster, 157=5 (1).
veloppait à l'Ouest et au Sud-Est; le côté de l'Ouest était désigné dans les vieux actes sous le nom de muraille de Portasse, de Porte Arse (des mots porta et arsa, porte brûlée) ; celui du Sud-Est était appelé muraille de la Redouve et fortification de la Porte-en-Bourse. Les abords du pont jeté sur le Tarn se trouvaient défendus par deux tours élevées aux extrémités.
(1) Il convient de remarquer que dans la légende qui accompagne cette gravure, le mot Tarn est écrit à tort Tary.
TOPOGRAPHIE GÉNÉRALE DE MOISSAC
Un autre plan, donné par le baron Taylor (voir figure 3), nous montre la ville divisée de l'Est à l'Ouest par une large rue reliant les remparts et bordée de chaque côté par une épaisse muraille appuyée de quatorze tours rondes alternant les unes avec les
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Légende : A. Abbaye. — B. Jardin des moines. — C. Partie habitée par les serfs, dépendant du couvent. — D. Ville lil>re ancienne, du moyen âge. — E. Chapelle. — F. Porte Saint-Paul. — G. Porte Saint-Pierre. — H. Porte des Merveilles (Malaveille).
Fig. 3. — Plan général de l'abbaye de Moissac et de l'ancienne ville qui en dépendait.
autres. De l'extérieur, on ne pouvait pénétrer dans cette rue que par la porte Mala- veille (indiquée à tort sous la dénomination de Porte des Merveilles). Au Nord, se trouvaient le couvent et ses dépendances réservées aux serfs ; au Sud, la partie pro- prement dite de la ville, occupée par les hommes libres, et dont la superficie était à peu prés égale à celle des bâtiments claustraux.
De toutes ces murailles, qu'un glorieux passé aurait dû rendre sacrées, il ne subsiste plus que quelques lambeaux enclavés dans les maisons situées au Nord-Est de la ville, sur le boulevard actuel de l'Hospice.
APERÇU GÉNÉRAL SUR LES ABRÉS-CHEVALIERS
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'abbaye de Moissac, placée sous la protection royale des l'épo- que de sa fondation qui eut lieu selon toute probabilité entre ^les années 638 et 649. acquit rapidement, grâce à cette faveur exceptionnelle, un accroissement considérable. Ses possessions territoriales, dit le chroniqueur, s'étendirent en peu d'années jusqu'aux portes de Toulouse, à l'embouchure de l'Hers (1) dans la Garonne (2).
La réputation méritée attire souvent de grandes largesses, mais, par un malheureux^ retour des choses humaines, les grandes largesses suscitent aussi de grandes convoitises. Les riches domaines que l'abbaye devait à la libéralité des monarques et des fidèles excitèrent l'envie et devinrent bientôt la proie des hommes puissants qui ravageaient le pays. Dès les premières années du vmc siècle, les Sarrasins envahirent le midi de la France : avides de rapines, ils brûlaient les villes, pillaient les monastères, ne lais-
(1) L'Hers est une rivière qui se jette dans la Garonne, en aval de Toulouse, près du village d'Ondes.
(2) « Relatione antiquorum suscepi quod, de villa Moyssacy usque aquam sive sinum vocatum Lere, qui distat a tribus leucis de Tholosa, fere omnia loca fuerunt hujus monasterii, et eciam hoc predicavit semel Tholose quidam prepositus monasterii Cassinensis qui fatebatur predicta auttentice legisse. Tamen propter antiquitatem temporum nomina sunt mutata dictorum locorum vel penitus destructa et a memoria homi- num peregrina. Quare ista loca quam plurima et cum amplis territoriis et aquarum decursibus non possi- demus. Sciendum quod postmodum plures fuerunt devastaciones et depopulaciones et destruciones vil- larum tam per Sarracenos, Wandallos, Normanos et alios tirannos ». Aymeric de Peyrac, Chronique, fol.
I 5 3, V>, COl. 2.
L'ABBAYE ET LES CLOITRES DE MOISSAC
sant que des ruines dans les pays qu'ils traversaient. Sous Charles-Martel, ils s'avancè- rent sous les murs de Moissac, mirent le feu à l'église et aux bâtiments claustraux, saccagèrent les domaines de l'abbaye et s'emparèrent de son riche trésor. Les Hongrois, les Normands et d'autres hordes sauvages se présentèrent à leur tour, les armes à la main, renouvelant les bouleversements qui avaient désolé les populations. « Les persé- cutions de Dioclétien et de Maximien », ajoute Aymeric de Peyrac, « ne causèrent pas plus de grands gémissements ; les pertes du monastère furent incalculables » (i). Et ce qui se passait à Moissac n'était malheureusement pas un fait isolé.
Abandonnées du roi, qui presque toujours était trop éloigné pour leur envoyer un secours utile et dont les diplômes étaient désormais impuissants à les protéger, les abbayes cherchèrent des protecteurs dans les seigneurs les plus puissants du pays. Les religieux de Moissac crurent avoir trouvé cet appui indispensable en s'adjoignant pour les défendre et s'occuper de leurs affaires un de ces grands personnages qu'on appelait alors et indifféremment avoués, défenseurs, patrons, mais qui se donnèrent eux-mêmes des noms beaucoup plus expressifs, beaucoup plus significatifs, ceux d'ab- bès-séculiers, d'abbés-chevaliers, d'abbés-militaires, d'abbés-du-dehors, — advocati, defen- sores , palroni, abbates-laici , abbates-milites , abbates-militares , abbates-extrinseci , cette dernière dénomination par opposition aux abbés-réguliers appelés abbates-intrinseci ; — ils jetèrent les yeux sur le comte de Toulouse (2).
Ces abbés laïques ou chevaliers originairement élus par les moines (3) recevaient en échange de leur protection et à titre de bénéfices un ou plusieurs villages dépendants du monastère; parfois même comme cela avait lieu à Moissac, ils obtenaient la sei- gneurie utile, c'est-à-dire le droit de justice sur tout ou partie de la ville habitée par les moines (4). Ce rôle leur donnait le premier rang dans les provinces. Souvent ces abbés-chevaliers avaient sous leurs ordres des agents chargés des affaires de moindre importance et qui étaient comme les procureurs du monastère (5).
( 1 ) « Lcgimus eciam quod tempore principis Karoli Martelli, Sarraceni, cum omnibus familiis suis in Galliis habitaturi, Garonam transseunt, omnia dévastant, ecclcsiasque Dei cremant; quibus Karolus, Dei auxilio fretus, bello occurit et ex eis ccc lxxv m[illi]a Sarracenorum cum regc eorum Aldimart peremit et m[ill]e quingentos de suis amisit. Unde, post predictam donacionem factam (celle de Kizézius dont il sera, ■parlé plus loin), ista patria fuit multocies vastata et destructa, et fuit in ecclesia tamen pejor gemitus quam tempore persequcionis ferorum Diocleciani et Maximiani imperatorum et multa perdit Moyssiaccnce cenobium ». Aymeric de Peyrac, Chronique, fol. 154, r°, col. 1.
(2) L'origine des avoués ou patrons des monastères paraît remonter au ve siècle. Les avoués auraient été établis par un concile d'Afrique (canon 42) et un concile de Carthage (canon 9) pour soutenir les droits des ecclésiastiques et plaider leurs causes devant les tribunaux séculiers ; de là viendraient les noms donnés d'advocati ou patroni. Moréri, Le grand diction., verbo défenseur.
(3) 11 y a eu pourtant quelques exceptions. Ainsi Charles-Martel pour payer le service rendu à la France par ses guerriers, à la bataille de Poitiers, donna des abbayes et même des évêchés à des laïques. Quantin, Diction, de diplomatique, verbo abbé.
(4) « Petrus (lisez Stephanus) qui preffecit abbatem militem, et quasi ad nichilum redigit predictum monasterium. Hiis temporibus mil xlii ob maliciam hominum abbas Petrus (lisez Slephamis) prefecit abba- tem militem sive secularem, ut tueret villam Moyssiacy et membra abbacie et villas et territorium e.t appendicias dicti monasterii, abbatem et conventum et dédit predicto abbati captennium in quibusdam [locis] et in villa Moyssiaci certam partem ; pro [quo] captennio dictus abbas miles promisit homagium et tïdelitatem abbati et conventui regulari et successoribus eorumdem ». Aymeric de Peyrac, Chronique, fol. 156, V col. 2 et 1 5 7, r°, col. 1 .
(5) Histoire de Languedoc, nouv. édit., t I, p. 1002. On en trouve un exemple dans une charte de Louis- le-Pieux, reproduite dans la nouvelle édition de YHistoire de Languedoc, t. II, Charles et Documents, col. 180 à 191. Cette charte fut délivrée le 21 juillet 834 en faveur d'Ermenald abbé d'Aniane et de son monastère.
APERÇU GÉNÉRAL SUR LES ABBÉS-CHEVALIERS 15
Dès le principe, l'abbé-chevalier de Moissac, vassal à ce titre de l'abbé-régulier et du couvent, et assujeti par ce fait à l'hommage et au serment (1), était en même temps leur coseigneur. En effet, Chaiiemagne, de même que ses prédécesseurs, tenait en paréage (2) avec le couvent et l'abbé la seigneurie de Moissac. Or, lorsque cette sei- gneurie eut été cédée au comte de Toulouse, comme nous le verrons plus tard, ce dernier succéda à tous les droits de son suzerain et devint, dès ce moment, coseigneur des religieux (3).
Comme il est facile d'abuser des bonnes choses, disons tout de suite que cette noble institution dégénéra rapidement. Les abbés-chevaliers, devenus les rivaux des abbés- réguliers, au lieu de protéger les abbayes confiées à leur soin, firent bientôt sentir leur maîtrise et s'évertuèrent à en retirer le plus de profit possible ; ils les ruinèrent le plus souvent par de cruelles vexations et leur ravirent des domaines qui étaient à leur convenance.
On ne peut préciser d'une manière absolue l'époque de l'institution des abbés-cheva- liers à Moissac. Si l'on s'en rapporte à une tradition qui ne remonte qu'au xine siècle le premier abbé-chevalier aurait été établi par Charlemagne qui donnait cette fonction aux comtes nommés pour rendre la justice et faire régner le bon ordre. Cette tradi- tion est rapportée par Aymeric de Peyrac, qui vivait au xve siècle, mais qui avait utilisé les travaux de Guillaume de Teula ou Tégula, prieur claustral en 1251. Elle nous fait connaître que Chorson, après avoir été investi par Charlemagne, en 778, du duché ou du comté de Toulouse (4), prêta serment et fit hommage à l'abbé et au cou- vent de, Moissac (5).
(1) « Prcdicti comités habucrunt deffencionem dicti monasterii sub homagio et juramento fidelitatis ». Aymeric de Peyrac, Chronique, fol. 167, v°, col. 1.
(2) L'institution des pariages ou partages de la justice ne prit un certain développement qu'au xne et surtout au xme siècle. Souvent un seigneur laïque et un seigneur ecclésiastique sont associés ; d'autre fois la justice est rendue par le baile des deux parties; elle est partagée d'après la valeur de l'objet en litige.
(3) Lagrèze-Fossat, Etudes historiques sur Moissac, t. I, p. 116.
(4) En attendant que le jeune Louis pût aller résider en Aquitaine où il devait gouverner, Charlemagne, son père, pourvut au gouvernement du pays. Dans ce but, il donna les comtés ou gouvernement des villes et des diocèses, à des seigneurs français, sur la fidélité desquels il pouvait compter. C'est ainsi que le Toulousain fut attribué à Chorson. Parmi les comtes qui furent ainsi créés et dont un historien appelé l'Astronome limousin nous a laissé les noms [Vila Hludovici pii, Pertz, t. II, p. 608), un seul porte le titre de duc : c'est Chorson ou Torsin, gouverneur de Toulouse « Chorso dux Tolosanus ».
Il convient de faire remarquer que sous les deux premières races de nos rois, le titre de duc désignait ordinairement un gouverneur de province, et celui de comte un gouverneur de diocèse, en sorte que les ducs avaient plusieurs comtés ou diocèses dans leur département ou sous leur autorité et que les comtes étendaient seulement la leur sur tout un diocèse. Les comtes de Toulouse, comme ceux de Paris, de Metz, de Poitiers, etc., joignaient à cette dignité celle de ducs d'Aquitaine, de France, d'Austrasie, etc., parce que ces villes étaient capitales de divers royaumes ou gouvernements généraux, et en vertu de cette préroga- tive ils exerçaient une autorité supérieure sur les autres comtés du même royaume. Histoire de Languedoc. nouv. édit , t. I, pp. 855 et 856.
« Ordinavit autem [Carolus Magnus] per totam Aquitaniam comités ... eisque commisit curam regni, prout utile judicavit ... Tholosae Corsonem, Burdigalis Siguinum ». Aimoni.... De geslis francorum, lib. V, cap. 1, p. 263. Parisiis, 1636.
(5) « Ideo quia dicti comités (Tholosani) fuerunt abbates milites Moyssiaci et a predicto pignore citra et ante eciam faciebant homagium abbati Moyssiaci prout ostendetur in littera Poncii et de abbatibus Moys- siaci in hac parte memoriam duxi facere ad nomina et actus aliquos dictorum comitum vassalorum, et ad comitum militum abbatum procedo paulative. A tempore Karoli magni fuit cornes Curso et Oddo et Ray- mundus Guillermus. Predicti comités habuerunt deffencionem dicti monasterii sub homagio et juramento fidelitatis ». Aymeric de Peyrac, Chronique, fol. 167, v, col. 1, cité par Lagrèze-Fossat, loc. cil, t. I, p. 338.
i6
L'ABBAYE ET LES CLOITRES DE MOISSAC
Cet acte n'est malheureusement pas parvenu jusqu'à nous. C'est d'autant plus regret- table qu'il nous aurait fait connaître les droits et les devoirs de l'abbé-chevalier à cette époque.
Les droits de l'abbé-chevalier comprenaient toujours un ensemble de redevances dési- gné sous le nom de captennium. 11 est à présumer qu'ils étaient les mêmes que ceux qui sont énumérés dans une charte, délivrée le 21 juillet 834, par Louis-le-Pieux, en faveur d'Ermenald abbé d'Aniane et de son monastère. 11 résulte de ce document (1), que les avoués ou abbés-chevaliers intervenaient dans tous les actes d'administration et qu'ils pouvaient de leur autorité privée et aussi bien que les abbés-réguliers eux- mêmes, représenter les monastères, traiter en leur nom, s'obliger et percevoir les droits de justice. Quant à ses devoirs, ils consistaient, ainsi que l'indiquent de nom- breux documents provenant de l'abbaye, dans l'obligation de surveiller tous les intérêts des moines, de protéger les personnes et les choses contre toutes les agressions, de lever en temps de guerre la bannière de l'abbaye et de se mettre à la tête de la milice, soit pour marcher contre l'ennemi, soit pour la conduire à l'armée du seigneur suze- rain, en un mot de représenter en toutes choses l'abbé et le couvent (2).
L'histoire des avoués ou abbés-chevaliers de Moissac peut se diviser en quatre pério- des distinctes. Nous allons en relater les traits principaux, nous réservant d'entrer, à leur sujet, dans de plus amples détails en parlant des abbés-réguliers du monastère.
Première période. — Pendant la première période qui commence sous Chaiiemagne, en l'année 778, pour finir sous Henri Ier, en 1037, les comtes bénéficiaires et les comtes héréditaires de Toulouse qui étaient alors coseigneurs de Moissac furent les abbés- chevaliers du monastère. Il convient à ce sujet de faire remarquer que sous les règnes de Charlemagne et de Louis-le-Débonnaire les dignités de duc et de comte n'étaient pas encore héréditaires, bien que ces princes, pour récompenser les mérites de plu- sieurs de leurs sujets, aient fait souvent bénéficier les enfants des mêmes charges qu'avaient occupées leurs pères. Mais Charles-le-Chauve proclama l'hérédité des digni- tés et des bénéfices (3). C'est sous le règne de ce monarque que commence la chaîne des comtes héréditaires de Toulouse.
Pendant cette première période qui ne dura pas moins de 257 ans, le protectorat des comtes de Toulouse ne donna lieu à aucune récrimination de la part des religieux. Aymeric de Peyrac ne fait que donner les noms de ceux qui firent hommage et qui prêtèrent serment à l'abbé et au couvent.
L'Histoire de Languedoc nous fournit la liste de ces comtes, par conséquent celle des abbés-chevaliers de Moissac pendant cette période. La voici, avec les modifications apportées par les nouveaux éditeurs :
Comtes bénéficiaires
Chorson ou Torsin, 778-790.
Guillaume I, dit de Gellone, fils du comte Théodoric et d'Aldane, 790-806 (4).
(1) Voir la copie de cette charte dans YHist. de Languedoc, nouv. édit., t. II, Charf. et Docum , col. 189 à 191.
(2) Lagrèze-Fossat, loc. cit., t. I, p. 118.
(3) Histoire de Languedoc, nouv. édition, t. I, pp. 1059 et 1 125.
(4) Dom Vaissète suppose que le successeur de Guillaume au duché de Toulouse fut un personnage nommé Raymond Raphinel , auquel une charte dont on ne peut déterminer exactement la date, donne le titre de duc d'Aquitaine. Mais M. Auguste Molinier {Histoire de Languedoc, nouv. édit., t. II, notes,
APERÇU GÉNÉRAL SUR LES ABBÉS-CHEVALIERS
»7
Béranger, fils de Hugues, comte de Tours et parent de Louis-le-Débonnaire, 817- 835(0-
ecfrid ou acfred, 835-845. Frédelon, 845-852.
Comtes héréditaires
Raymond Lr, frère de Frédelon, 852-864.
Bernard, fils de Raymond 1er, mort sans enfants, 864-875.
Eudes, fils de Raymond Ier, 875-918.
Raymond II, fils d'Eudes, 919-923.
Raymond III, surnommé Pons, fils de Raymond II, 924-950. Guillaume II, surnommé Taillefer, fils de Raymond III, 950-1037.
Deuxième période. — Un grand abus s'était introduit dans l'Eglise dès la fin du xe siècle. Les comtes et les grands seigneurs avaient rendu leurs dignités héréditaires. La faculté de transmettre accrut l'envie de posséder, et l'affaiblissement du monarque laissa aux ambitieux la possibilité de prendre. Malgré les décisions des conciles et les anathèmes des papes, les seigneurs s'étaient arrogé le droit, non seulement de dispo- ser par testament des évêchés et des abbayes de leur domaine comme de leur patri- moine, mais encore de les trafiquer publiquement. Les églises étaient en quelque sorte transformées en fiefs qu'ils donnaient au plus offrant et dernier enchérisseur; les prêtres qui les desservaient étaient considérés comme des feudataires administrant une propriété Seigneuriale.
C'est ainsi que le comte de Toulouse Guillaume Taillefer, après être entré en mar- ché, en 990, pour vendre l'évêché de Cahors (2), aliéna peu de temps avant sa mort pour 30,000 sous l'avouerie de Moissac (3) à un des plus puissants vassaux du Quercy qui était à sa cour, Gausbert de Gourdon de Castelnau (4).
Gausbert, en vertu de cet arrangement, fut le premier qui posséda l'abbatiat mili- taire détaché de la suzeraineté. Nous donnons la liste des abbés qui, pendant cette période, ont conservé cette dignité au même titre.
pp. 296 et 297) a suffisamment démontré la fausseté de ce document pour être autorisé à effacer le nom de Raymond Raphinel de la liste des ducs ou comtes de Toulouse et à se résigner à ignorer le nom du successeur immédiat du comte Guillaume, si toutefois il y en a eu un autre avant Béranger. Les observa- tions de M. A. Molinier paraissent d'autant plus fondées que le religieux de Saint-Germain-des-Prés qui a continué la chronique d'Aimoin [Historia Francorum, Paris, 15 14, in-folio et 1567, in-8) s'exprime ainsi en parlant de Béranger comte de Toulouse : « Béranger succéda à Guillaume ».
(1) Les auteurs de YHistoire de Languedoc, placent à la suite de Béranger le nom de Bernard I", fils de Guillaume I", et le duc Warin, mais ces derniers n'ont jamais porté le titre de duc ou de comte de Toulouse; ils ne doivent donc pas figurer sur la liste de ces dignitaires. On doit encore supprimer de cette même liste, Guillaume, fils de Dodane, qui aurait succédé à Warin. Les bénéfices de Guillaume se trouvaient non dans le Toulousain, mais en Bourgogne dans le pays d'Autun. Histoire de Languedoc, nouv. édit,, t. II, notes, pp. 298 à 300.
(2) Histoire de Languedoc, nouv. édit., t. III, p. 213.
(3) « Predicti comités habuerunt deffencionem dicti monasterii sub homagio et juramento fidelitatis quam postmodum Guillermus pater Poncii gurpivit [sic) abbati militi et vendidit certo precio et cum con- dicionibus certis ut continetur in carta predicte vendicionis, cujus forma dicitur esse talis : Satis omnibus, etc. quam pretereo, gracia brevitatis ». Aymeric de Peyrac, Chronique, fol. 167, v°, col. 1.
(4) Gausbert I" de Castelnau était en même temps de la maison de Gourdon. Fils d'Aymeric I", il eut en partage la baronnie de Castelnau et celle de Gourdon ; ses frères Jsarn et Raymond reçurent la baronnie de Luzech et celle d'Orgueil.
3
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L'ABBAYE ET LES CLOITRES DE MOISSAC
A bbés-Chevaliers
Comtes de Toulouse
Gausbert de Gourdon, 1037-1071. Guillaume III, fils de Pons, comte de Tou
Pons, fils de Guillaume Taillefer, 1037-1060. Guillaume III, fils de Pons, 1061-1093.
louse, 1071. Raymond, parent de Gausbert. Bertrand Ier, frère de Raymond, 1073. Foulque.
Gausbert II, 1097.
Gausbert III, dit Fumel, 1112-1127.
Bertrand de Montacés, 1 127-1177.
Alphonse-Jourdain, neveu de Guillaume III, 1093-1 148.
Raymond V, fils d'Alphonse-Jourdain, 1148- 1194.
L'administration de ces abbés-chevaliers pendant la deuxième période fut des plus nuisibles pour le monastère : elle devint funeste a la paix et à la discipline ; leur pro- tectorat dégénéra en tyrannie. « Si je me borne à écrire leur nom », dit Aymeric de Peyrac, « c'est parce que ces abbés-chevaliers, au lieu d'être des défenseurs dévoués, ne firent que des actes de malice contre le monastère, parce qu'ils en furent les per- sécuteurs, et les destructeurs, parce qu'enfin ils le dépouillèrent de toute sa puissance et lui ravirent son antique liberté » (1).
En parlant des abbés-réguliers de Moissac nous relaterons les vifs démêlés qui eurent lieu, à cette époque, entre eux et ceux qui étaient chargés de leur défense. Disons seulement, que l'abbè-chevalier Bertrand de Montacés (2), ayant projeté un voyage en Terre-Sainte, vendit, probablement pour se procurer les ressources nécessaires, l'ab- batiat militaire au comte de Toulouse Raymond V (3). Par suite de cette aliénation, le comte de Toulouse fut le premier qui posséda de nouveau, depuis Guillaume Taillefer, le titre de coseigneur de la ville de Moissac avec l'abbé et le couvent, et celui d'abbé- chevalier du monastère.
Troisième période. — Les derniers comtes de Toulouse qui eurent l'abbatiat militaire de Moissac se succèdent dans l'ordre suivant :
Raymond V, n 77-1 194.
Raymond VI, dit le Vieux, 1194-1212.
Simon de Montfort, 12 12-12 18.
Amaury de Montfort, 1218-1221.
Raymond VII, fils de Raymond VI, 1221-1249.
Alphonse II, 1 249-1 271.
(1) « Premissis abbatibus regullaribus, hic précise et sine aliquali prosequeione insero nomina abbalum militum ville Moyssiacci antequam dicta abbacia militaris ad dominos comités Tholosanos deveniret: quo- rum acta et facta exprimere pretermitto, quia, in ipsis, non perlegi nisi maliciam et inauditam tiranniam ; et qui velut pugilles et deffensores dicti monasterii fuerant assumpti, extiterunt postmodum destructores, persequtores et raptores jurium dicti monasterii. Utinam soli in eorum malicia defecissent dicto monas- terio in pristina liberate persistente et perdurante. Abbates milites extiterunt Guasbertus primus, Guiller- mus, Bertrandus, Fulco, Guasbertus II, Guasbertus tercius, Bertrandus de Monte-Incensi qui abbaciam predictam obligavit Ramundo comiti Tholosano ». Aymeric de Peyrac, Chronique, fol. 167, r°, col. 2.
(2) Aymeric de Peyrac désigne cet abbé tantôt sous le nom de Bernardus de Monte-Nicensi, tantôt sous celui de Bertrandus de Monte-Incenso. Marion (loc. cit., p. 122, note 3) traduit ce surnom par le mot Montacés, faisant remarquer que Montacés ou Montaceys est un petit village de l'arrondissement de Péri- gueux qui appartenait autrefois à la maison de Saint-Astier.
(3) Aymeric de Peyrac, Chr., fol. 17F, v°, col. 1 et 2.
APERÇU GÉNÉRAL SUR LES ABBÉS-CHEVALIERS
i-9
Les abbés de Moissac n'eurent pas à se plaindre de l'abbatiat militaire de Raymond V, et tout laissait entrevoir qu'il aurait dù en être de même de celui de Raymond VI. Mais bientôt s'élevèrent des contestations plus nombreuses que par le passé, soulevées toujours pour les mêmes motifs, et la lutte fut des plus envenimées (i). On se décida à la fin à faire de part et d'autre des concessions, et le 26 juin 1210, on signa un traité destiné à régler d'une manière précise les droits de chacune des parties.
Mais ce traité ne mit point fin aux discussions et les rapports des abbés-réguliers avec leurs soi-disant protecteurs furent toujours des plus tendus sous les successeurs de Raymond VI.
Après la mort de Raymond VII, arrivée à Millau en 1249, le frère de saint Louis, qui, en exécution du traité de Meaux, avait été marié à la princesse Jeanne, fille uni- que de Raymond VII, devint comte de Toulouse sous le nom d'Alphonse II. Héritant des droits de son beau-père, il eut l'abbatiat militaire de Moissac. 11 se montra plein de bienveillance pour les religieux, mais ceux-ci n'obtinrent qu'à la suite de très grands sacrifices, la fin des contestations qui existaient depuis si longtemps.
Quatrième période. — Alphonse II étant mort sans enfants, le roi de France fut proclamé, en vertu du traité de Meaux, le successeur légitime des comtes de Tou- louse, et par suite coseigneur de Moissac et abbé-chevalier du monastère (2). Dès lors l'abbaye releva directement des rois de France.
L'avènement de la maison royale inaugura pour l'abbaye une ère de calme et de tranquillité. Les rois de France, absorbés par des affaires importantes, étaient trop éloignés pour continuer, auprès des abbés de Moissac, cette politique souvent tracas- sière des comtes de Toulouse. Bien plus, en cas de guerre, et en qualité d'abbé-che- valier, ils intervenaient même souvent, d'une manière préventive, dans l'intérêt du monastère et accordaient à l'abbé et au couvent des lettres de sauvegarde; c'est ainsi qu'un grand nombre de ces lettres furent délivrées à ce sujet entre les années 1274 et 1629 (2).
Mais au xvne siècle les affaires de l'abbaye prirent une autre tournure. Les consuls et le juge ordinaire de Moissac intentèrent un procès a l'abbé-régulier, dans le but de s'affranchir en toutes choses de sa domination et de faire déclarer la ville et son terri- toire du domaine de la Couronne. Condamnés dans leurs prétentions par un arrêt du Conseil privé du roi en date du 16 juin 1643(4), ils revinrent sur cette question quelques années après, et, cette fois, eurent gain de cause. Le Conseil, se conformant à la politique envahissante de Louis XIV qui tendait à tout concentrer dans ses mains, déclara le 27 janvier 1671, la ville de Moissac et son territoire du domaine du roi, et supprima ainsi, d'une manière indirecte, les abbés-chevaliers dont l'institution, il faut le reconnaître, n'avait plus alors raison d'être.
(1) Aymeric de Peyrac, Chr., fol. 168 et suiv.
(2) Histoire di Languedoc, nouv. édit., t. IX, pp. 1 et 5 .